Les déclarations du délégué de la protection de l'enfance de Gafsa n'étaient que la partie émergée de l'iceberg. Les droits des enfants sont horriblement bafoués dans notre pays, et ce à peu près à toutes les échelles : familiale, sociale, politique, etc.
À commencer par la mise au travail des enfants, notamment dans les rues (en tant que vendeurs de machmoum, de papiers mouchoirs ou d'autres marchandises dans le genre) ou encore dans des maisons d'accueil, où des fillettes sont privées de l'école et envoyées faire les bonniches couchantes, souvent à des centaines de kilomètres de leurs abris familiaux.
Faire travailler des enfants est certes interdit par la loi, mais seulement sur le papier.
Au sein de la famille, la maltraitance des enfants est tellement banalisée qu'elle est devenue la norme dans la plupart des maisons tunisiennes, où il est rare de ne pas user de la violence physique et verbale à leur encontre sous prétexte de les "éduquer" (par les parents et parfois même les oncles, les tantes et les frères et sœurs aînés). Bien que cela soit fortement déconseillé par les spécialistes de la psychologie de l'enfant.
Cette maltraitance dépasse souvent le fait de donner des punitions démesurées pour tendre vers l'asservissement, surtout lorsqu'il s'agit de fillettes, auxquelles on apprend sans scrupule à être au service des mâles de la maison et à s'occuper des tâches ménagères.
D'un autre côté, certaines familles conservatrices vont jusqu'à obliger leurs filles -ou à profiter de la naïveté naturelle des enfants pour les convaincre- de porter le voile, les condamnant ainsi à être perçues comme des objets sexuels dès leurs jeunes âges.
Sur le plan éducatif, la plupart des maîtres et des maîtresses des écoles primaires ont pris l'habitude de punir atrocement leurs élèves, épaulés par toute une société qui tolère cette « pseudo-éducation » et souvent par les parents eux-mêmes qui usent sans gêne d'expressions cruelles du genre « 7asebni bel jeld » [frappe-le jusqu'à lui retirer la peau] en parlant de leurs propres enfants.
Religieusement, les choses ne s'arrangent pas non plus puisque des hadiths prophétiques considérés comme authentiques incitent explicitement à frapper les enfants à partir d'un certain âge, notamment pour les obliger à faire leurs "devoirs religieux" (pour la liberté de croyance, il faudra compter sur d'autres idéologies). Mais cela n'est rien du tout comparé à la pratique de circoncision, qui consiste à amputer une partie du corps du garçon, à savoir le prépuce, sans qu'il y ait une nécessité médicale... le crime tout à fait halal et accepté par la société.
L'épisode des fiançailles de la fille de 12 ans trouve également une justification religieuse consistant au mariage du prophète de l'islam (personnage censé être l'exemple à suivre pour tout musulman) avec Aïcha lorsqu'elle n'eut que 6 ans et à sa consommation (sexuelle) de ce mariage lorsqu'elle eut 9 ans, toujours selon des hadiths religieusement authentiques.
Tout cela ne signifie pas qu'on veut porter préjudice aux enfants ou qu'on les déteste. Bien au contraire : on pense, idiotement, qu'on veille à leur intérêt à travers ces pratiques.
Le problème est profond parce qu'il est d'ordre social : ces traitements sont normalisés par la société et cela influence même l'application des lois, l'implication du gouvernement et la prise en considération de l'opinion scientifique.
Le pire est que notre conscience vis-à-vis de la psychologie des enfants est quasiment inexistante. Le degré de maltraitance que subissent les enfants diffère d'un gamin à un autre, mais aussi son influence sur ces derniers qui dépend de plusieurs facteurs, notamment génétiques et environnementaux. Cela donne lieu, dans certains cas, à des états psychologiques très pénibles à supporter : une tristesse immense ou permanente ou un état de dépression que les adultes n'arrivent même pas à détecter. Et la conséquence est parfois dramatique : le suicide.